samedi 14 novembre 2015

La soupe de mon oncle... Juste une soupe et une vieille histoire...

Mon oncle est parti un jour d'Espagne en courant, devant lui il avait l'horizon et derrière lui les troupes d'un petit caporal qui se rêvait général... Et cet oncle-là à la recherche de son idéal a couru si loin qu'il ne s'est arrêté qu'en arrivant à Varsovie. C'était un autre temps où certains rêves existaient encore...
L'oncle est resté là-bas toute sa vie, il était trop rouge pour que les frontières s'ouvrent par ici et encore plus par chez lui. Et elles ne se sont finalement ouvertes qu'une fois à la mort de mon père juste le temps d'un aller-retour pas plus, trois jours pas une heure de plus nous a-t-il dit en arrivant.
C'est comme ça que je l'ai rencontré pour la première fois, l'oncle qu'on appelait chez moi le polonais... Forcément...
Ma mère avait les habitudes de certaines femmes du sud, elle a montré sa peine à profusion en l'accueillant. L'oncle, lui, avait pris d'autres habitudes, peut-être celles des hommes de l'Est, et en retour elle n'a eu tout comme moi que quelques tapes dans le dos.
Il s'est installé chez nous et le lendemain quand ma mère s'est préparé à partir au travail et qu'il a demandé ce qu'il pouvait faire, elle a juste dit à l'oncle tu pourrais le faire manger ? en me montrant de la main. L'oncle a dit oui je m'arrangerai. Et ma mère est partie en courant comme chaque matin.
Pendant que je déjeunais de mon café à la chicorée, j'ai entendu l'oncle ouvrir et fermer chaque placard en me demandant ce qu'il pouvait bien espérer trouver dans une maison où on cuisinait si peu.
Vers midi, il est venu me voir et m'a dit qu'il allait me préparer une soupe, une soupe que nous mangions avec ton père... Les phrases de mon oncle finissaient souvent en tombant par terre alors que l'on attendait une fin qui n'arrivait jamais.
Il m'a demandé de venir avec lui dans la cuisine, j'ai cru que c'était pour l'aider à trouver... je ne savais pas trop quoi d'ailleurs il y avait tellement peu à trouver. Non, c'était juste pour que je sois là que je regarde et peut-être que j'apprenne leur fameuse soupe.
Et pendant qu'il la préparait il ne m'a rien raconté d'autre que la soupe, l'ail d'abord coupé juste en deux puis revenu dans son filet d'huile d'olive, le bouillon de volaille ensuite versé et le temps qu'il a fallu attendre pour que l'ail cuise, de longues minutes. Il cuit longtemps parce que c'est une soupe de rien et rien c'est meilleur quand ça a du goût avait-il dit. Et puis l'œuf juste battu et le tourbillon que l'on fait pour le verser et... c'est tout ? Oui c'est tout m'avait-il répondu et juste du pain...
En mangeant il m'a demandé des choses qu'on demande à ceux dont on ne sait rien, ce que je voulais faire plus tard, si j'aimerais rentrer un jour... au pays... des choses qu'on se demande plus pour parler que savoir, notre vie commune n'allait de toute manière durer que quelques heures, on pouvait bien dire ce qu'on voulait.
Et au milieu de tout ça, entre deux lampées de cette soupe d'ail et de pas grand-chose, l'oncle m'a juste dit, je crois que je n'ai jamais dit à ton père que je l'aimais sa soupe... tout est allé tellement vite...
Il ne m'en a pas dit plus sur ce qui était allé si vite, ni sur grand-chose d'autre d'ailleurs, nous avons juste continué à parler de moi en finissant la soupe.
Quelques jours plus tard l'oncle est reparti, trois jours plus tard et pas une heure de plus.
Ce n'est que bien plus tard, plus grand, que j'ai appris ce qui avait été tellement vite, le bruit et la fureur, la guerre et la fuite... tout ce qui avait empêché mon oncle de dire à mon père qu'il l'aimait bien sa soupe, et peut-être quelques autres petites choses...
Ne cherchez surtout pas de morale à cette histoire, il n'y en a pas, elle restera comme les phrases de l'oncle... C'est juste une vieille histoire d'il y a longtemps que j'avais envie de partager avec vous aujourd'hui, c'était juste ça... et une soupe...

Mais pourquoi, et si nous prenions juste le temps de nous le dire... est-ce que je vous raconte ça...

20 commentaires:

  1. C'est une belle histoire. Merci !

    RépondreSupprimer
  2. Belle histoire e delicieux soupe :)

    RépondreSupprimer
  3. Belle histoire e delicieux soupe :)

    RépondreSupprimer
  4. Tellement bien raconté et tellement de choses dans cette soupe de si peu ...

    RépondreSupprimer
  5. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  6. tellement de choses à dire et si peu de temps pour le faire , je te dirai juste MERCI , et dans ce mot il y aura tout...

    RépondreSupprimer
  7. Tu m'as mise en larmes Dorian. Ton histoire est très touchante.
    Comme quoi parfois un petit rien peu dire ou faire beaucoup
    Douces pensées pour toi et tes proches
    Élo, les mains dans la farine

    RépondreSupprimer
  8. C' est depuis longtemps que je ne lisait pas une histoire si belle. C'est la mélancolie des choses qui ne vont retourner pas et cependent qui jamais nous abandonnent.
    merci.
    La cuisine, après tout, c'est ca
    Alessia

    RépondreSupprimer
  9. Une soupe racontée avec tendresse, une soupe partagée au cours de retrouvaille fortuite ... ma grand-mère cuisait aussi ces petite soupes de pas grand chose mais ou l'amour était cet ingrédient spécial qui rend le tout si savoureux, en tous ca je penserai a vous Dorian chaque fois que je ferai une soupe a l'ail (je la fais encore !) Amitiés cordiales de Chantal

    RépondreSupprimer
  10. En lisant ce billet ce matin, je me dis que plus ça va plus j'adore ton blog, tes histoires et tes recettes.
    Belle journée

    RépondreSupprimer
  11. J'ai du mal validé mon commentaire hier soir :-(

    Il disait en substance que je n'avais pas encore pleuré de la journée et qu'il me fallait sans doute une histoire de soupe pour pleurer à gros bouillons (l'humour, cette politesse du désespoir) devant mon écran. C
    ette histoire de soupe, je ne l'oublierai pas. A quel moment je l'ai lue et ce que j'ai ressenti non plus...

    Merci Dorian et plein de pensées !

    RépondreSupprimer
  12. belle histoire
    la simplicité est souvent la meilleur des choses en cuisine

    RépondreSupprimer
  13. Merci! pour la soupe, l'histoire....enfin tout quoi!....

    RépondreSupprimer
  14. Bonsoir Dorian
    J'ai connu, par l'intermédiaire de mes beaux -parents, cette fameuse soupe à l'ail. C'était vraiment la soupe des pauvres( sans l'huile d'olive), des gens de la terre, Après , j'ai appris à connaitre la soupe avec quelques feuilles de chou, et du pain rassis.
    J'ai amélioré cette dernière, et cela fait un repas du soir,mais attention,beaucoup d'huile d'olive.............
    Les souvenirs remontent en mémoire, et l'on se dit que l'on a eu de la chance d'échapper à cette triste période.
    J'ai donc une pensée pour tous ceux qui sont partis

    RépondreSupprimer
  15. Tu viens de me faire pleurer avec ton histoire de soupe...
    Ton histoire aurait pu être racontée dans ma famille.
    Belle journée Dorian et merci.

    RépondreSupprimer
  16. C'est une soupe simple pour des gens simples. Une tranche de vie émouvante qui, sur le moment, n'a pas pris tout son sens. L'enfant est devenu adulte et son regard sur les choses et les personnes a évolué. La mémoire est un bien précieux. Elle fait revivre les êtres chers et les instants vécus, heureux ou malheureux.
    Merci de partager cette émotion avec nous.
    Corinne

    RépondreSupprimer
  17. Merci pour cette belle histoire !
    il faut se dire je t'aime chaque jour, entourer de nos bras les êtres qui nous sont chers tant qu'ils sont là et profiter de chaque instant comme si c'était le dernier. Merci encore Dorian pour cette bonne soupe ! Nathalie

    RépondreSupprimer
  18. Etrange, pas d'oignon dans cette jolie soupe, et pourtant elle m'a plus aidée à pleurer que tout ce que j'ai lu ces jours-ci... Ca doit être l'amour qui fait ça. Oui, on a tort de ne pas dire les choses, grandes ou petites...

    Mélo

    RépondreSupprimer
  19. tres juste et tout en tendresse - quelquefois on ne sait pas dire, mais meme les tapes dans le dos sont importantes

    RépondreSupprimer
  20. coucou Dorian,

    ma maman née à Tabernas, près d'Almeria, en Espagne, nous faisait cette soupe que mes parents appelaient la "soupe à l'ail" !
    que de souvenirs, elle évoque en moi, et combien de fois l'ai-je faite cette soupe !!
    et je la refais encore, et je viens de la refaire en ton honneur et en celui de ton oncle ! un délice tout simple, le bonheur !!!
    parfois, j' y mets de la semoule avec plein d'ail dans l'huile d'olive et j' adore, et mon chéri qui est Alsacien aussi, il l' adore !!!

    merci de m' avoir avec ton souvenir embelli la mémoire du mien !!!

    Annie

    RépondreSupprimer