Mon oncle est parti un jour d'Espagne
en courant, devant lui il avait l'horizon et derrière lui les
troupes d'un petit caporal qui se rêvait général... Et cet
oncle-là à la recherche de son idéal a couru si loin qu'il ne
s'est arrêté qu'en arrivant à Varsovie. C'était un autre temps où
certains rêves existaient encore...
L'oncle est resté là-bas toute sa
vie, il était trop rouge pour que les frontières s'ouvrent par ici
et encore plus par chez lui. Et elles ne se sont finalement ouvertes
qu'une fois à la mort de mon père juste le temps d'un aller-retour
pas plus, trois jours pas une heure de plus nous a-t-il dit en
arrivant.
C'est comme ça que je l'ai rencontré
pour la première fois, l'oncle qu'on appelait chez moi le
polonais... Forcément...
Ma mère avait les habitudes de
certaines femmes du sud, elle a montré sa peine à profusion en
l'accueillant. L'oncle, lui, avait pris d'autres habitudes, peut-être
celles des hommes de l'Est, et en retour elle n'a eu tout comme moi
que quelques tapes dans le dos.
Il s'est installé chez nous et le
lendemain quand ma mère s'est préparé à partir au travail et
qu'il a demandé ce qu'il pouvait faire, elle a juste dit à l'oncle
tu pourrais le faire manger ? en me montrant de la main. L'oncle a
dit oui je m'arrangerai. Et ma mère est partie en courant comme
chaque matin.
Pendant que je déjeunais de mon café
à la chicorée, j'ai entendu l'oncle ouvrir et fermer chaque placard
en me demandant ce qu'il pouvait bien espérer trouver dans une
maison où on cuisinait si peu.
Vers midi, il est venu me voir et m'a
dit qu'il allait me préparer une soupe, une soupe que nous mangions
avec ton père... Les phrases de mon oncle finissaient souvent en
tombant par terre alors que l'on attendait une fin qui n'arrivait
jamais.
Il m'a demandé de venir avec lui dans
la cuisine, j'ai cru que c'était pour l'aider à trouver... je ne
savais pas trop quoi d'ailleurs il y avait tellement peu à trouver.
Non, c'était juste pour que je sois là que je regarde et peut-être
que j'apprenne leur fameuse soupe.
Et pendant qu'il la préparait il ne
m'a rien raconté d'autre que la soupe, l'ail d'abord coupé juste en
deux puis revenu dans son filet d'huile d'olive, le bouillon de
volaille ensuite versé et le temps qu'il a fallu attendre pour que
l'ail cuise, de longues minutes. Il cuit longtemps parce que c'est
une soupe de rien et rien c'est meilleur quand ça a du goût
avait-il dit. Et puis l'œuf juste battu et le tourbillon que l'on
fait pour le verser et... c'est tout ? Oui c'est tout m'avait-il
répondu et juste du pain...
En mangeant il m'a demandé des choses
qu'on demande à ceux dont on ne sait rien, ce que je voulais faire
plus tard, si j'aimerais rentrer un jour... au pays... des choses
qu'on se demande plus pour parler que savoir, notre vie commune
n'allait de toute manière durer que quelques heures, on pouvait bien
dire ce qu'on voulait.
Et au milieu de tout ça, entre deux
lampées de cette soupe d'ail et de pas grand-chose, l'oncle m'a
juste dit, je crois que je n'ai jamais dit à ton père que je
l'aimais sa soupe... tout est allé tellement vite...
Il ne m'en a pas dit plus sur ce qui
était allé si vite, ni sur grand-chose d'autre d'ailleurs, nous
avons juste continué à parler de moi en finissant la soupe.
Quelques jours plus tard l'oncle est
reparti, trois jours plus tard et pas une heure de plus.
Ce n'est que bien plus tard, plus
grand, que j'ai appris ce qui avait été tellement vite, le bruit et
la fureur, la guerre et la fuite... tout ce qui avait empêché mon
oncle de dire à mon père qu'il l'aimait bien sa soupe, et peut-être
quelques autres petites choses...
Ne cherchez surtout pas de morale à
cette histoire, il n'y en a pas, elle restera comme les phrases de
l'oncle... C'est juste une vieille histoire d'il y a longtemps que
j'avais envie de partager avec vous aujourd'hui, c'était juste ça...
et une soupe...
Mais pourquoi, et si nous prenions
juste le temps de nous le dire... est-ce que je vous raconte ça...
C'est une belle histoire. Merci !
RépondreSupprimerBelle histoire e delicieux soupe :)
RépondreSupprimerBelle histoire e delicieux soupe :)
RépondreSupprimerTellement bien raconté et tellement de choses dans cette soupe de si peu ...
RépondreSupprimerCe commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimertellement de choses à dire et si peu de temps pour le faire , je te dirai juste MERCI , et dans ce mot il y aura tout...
RépondreSupprimerTu m'as mise en larmes Dorian. Ton histoire est très touchante.
RépondreSupprimerComme quoi parfois un petit rien peu dire ou faire beaucoup
Douces pensées pour toi et tes proches
Élo, les mains dans la farine
C' est depuis longtemps que je ne lisait pas une histoire si belle. C'est la mélancolie des choses qui ne vont retourner pas et cependent qui jamais nous abandonnent.
RépondreSupprimermerci.
La cuisine, après tout, c'est ca
Alessia
Une soupe racontée avec tendresse, une soupe partagée au cours de retrouvaille fortuite ... ma grand-mère cuisait aussi ces petite soupes de pas grand chose mais ou l'amour était cet ingrédient spécial qui rend le tout si savoureux, en tous ca je penserai a vous Dorian chaque fois que je ferai une soupe a l'ail (je la fais encore !) Amitiés cordiales de Chantal
RépondreSupprimerEn lisant ce billet ce matin, je me dis que plus ça va plus j'adore ton blog, tes histoires et tes recettes.
RépondreSupprimerBelle journée
J'ai du mal validé mon commentaire hier soir :-(
RépondreSupprimerIl disait en substance que je n'avais pas encore pleuré de la journée et qu'il me fallait sans doute une histoire de soupe pour pleurer à gros bouillons (l'humour, cette politesse du désespoir) devant mon écran. C
ette histoire de soupe, je ne l'oublierai pas. A quel moment je l'ai lue et ce que j'ai ressenti non plus...
Merci Dorian et plein de pensées !
belle histoire
RépondreSupprimerla simplicité est souvent la meilleur des choses en cuisine
Merci! pour la soupe, l'histoire....enfin tout quoi!....
RépondreSupprimerBonsoir Dorian
RépondreSupprimerJ'ai connu, par l'intermédiaire de mes beaux -parents, cette fameuse soupe à l'ail. C'était vraiment la soupe des pauvres( sans l'huile d'olive), des gens de la terre, Après , j'ai appris à connaitre la soupe avec quelques feuilles de chou, et du pain rassis.
J'ai amélioré cette dernière, et cela fait un repas du soir,mais attention,beaucoup d'huile d'olive.............
Les souvenirs remontent en mémoire, et l'on se dit que l'on a eu de la chance d'échapper à cette triste période.
J'ai donc une pensée pour tous ceux qui sont partis
Tu viens de me faire pleurer avec ton histoire de soupe...
RépondreSupprimerTon histoire aurait pu être racontée dans ma famille.
Belle journée Dorian et merci.
C'est une soupe simple pour des gens simples. Une tranche de vie émouvante qui, sur le moment, n'a pas pris tout son sens. L'enfant est devenu adulte et son regard sur les choses et les personnes a évolué. La mémoire est un bien précieux. Elle fait revivre les êtres chers et les instants vécus, heureux ou malheureux.
RépondreSupprimerMerci de partager cette émotion avec nous.
Corinne
Merci pour cette belle histoire !
RépondreSupprimeril faut se dire je t'aime chaque jour, entourer de nos bras les êtres qui nous sont chers tant qu'ils sont là et profiter de chaque instant comme si c'était le dernier. Merci encore Dorian pour cette bonne soupe ! Nathalie
Etrange, pas d'oignon dans cette jolie soupe, et pourtant elle m'a plus aidée à pleurer que tout ce que j'ai lu ces jours-ci... Ca doit être l'amour qui fait ça. Oui, on a tort de ne pas dire les choses, grandes ou petites...
RépondreSupprimerMélo
tres juste et tout en tendresse - quelquefois on ne sait pas dire, mais meme les tapes dans le dos sont importantes
RépondreSupprimercoucou Dorian,
RépondreSupprimerma maman née à Tabernas, près d'Almeria, en Espagne, nous faisait cette soupe que mes parents appelaient la "soupe à l'ail" !
que de souvenirs, elle évoque en moi, et combien de fois l'ai-je faite cette soupe !!
et je la refais encore, et je viens de la refaire en ton honneur et en celui de ton oncle ! un délice tout simple, le bonheur !!!
parfois, j' y mets de la semoule avec plein d'ail dans l'huile d'olive et j' adore, et mon chéri qui est Alsacien aussi, il l' adore !!!
merci de m' avoir avec ton souvenir embelli la mémoire du mien !!!
Annie