Quand il y a quelques temps j'ai reçu l'invitation
d'Elisabeth de Meurville de la retrouver pour le diner de clôture du salon des
Coq d'Or dans son mail elle avait précisé qu'il y aurait aussi la fille de
Pierre Desproges et quelques copains journalistes, dont ceux de Charlie Hebdo
avait-elle écrit…
Je n'ai jamais eu besoin de quoi que ce soit d'autre
qu'une invitation de sa part pour courir ventre à terre et profiter de la drôle
de dame. Mais quand j'ai lu le mail à haute voix à Marie, j'ai vu dans ses yeux
qu'elle me traitait de salopard même si elle ne l'a pas dit parce qu'elle
aurait aimé être à ma place, avant de lancer cette fois vraiment à haute voix… Charlie
c'est toute mon adolescence…
Contrairement à elle à l'époque de mon adolescence on me
voyait rarement sortir d'une librairie avec l'irrévérencieux Charlie sous le
bras… à vrai dire on me voyait surtout rarement entrer dans une librairie. De
temps en temps leur Une m'attirait l'œil, et quelques fois c'était au point de l'attraper
au vol sans toujours le payer d'ailleurs. Mais c'était rare, tellement rare, je
ne vais pas aujourd'hui m'inventer un passé de lecteur fervent, pas aujourd'hui…
Je trouvais alors ce Charlie-là bien compliqué, je ne
comprenais pas vraiment tout ce que racontait ce curieux journal qui me
semblait partir dans tous les sens, trop à lire, seul quelques dessins me sauvait
l'attention, quelques dessins et peut-être quelques lignes de François Cavanna…
et puis j'avais tellement mieux à faire que de tenter de comprendre… Il y avait
toujours une fille qui courrait plus vite que moi.
Plus tard j'ai continué à croiser Charlie de temps en
temps, toujours de manière aussi irrégulière…
Le soir du diner de clôture du salon des Coq d'Or il y
avait bien tous ceux dont Elisabeth m'avait parlé, Perrine, les copains
journalistes, les Charlie, et quelques autres, des concubines et des maris, les
Coqs, les exposants, des garçons les fesses à l'air et des filles qui parlaient
un peu fort après quelques verres de vin, il faut dire que le vin était bon…
Et la soirée a coulée comme on vide certaines fois les
verres de vin, un peu trop vite. Elle est passée à manger en faisant des
blagues peu coûteuses en efforts, à éclater de rire pendant les discours ou les
non-discours des uns et des autres, à discuter de bouffe et… de bouffe encore,
des exposants et des produits et d'un tas de choses sans queue ni tête mais qui
finissent quand même dans les assiettes, à écouter comment Elisabeth avait
réussi à faire entrer Pierre Desproges à Cuisine et Vins de France et quelques
autres de ses surprenantes histoires, j'ai toujours aimé l'écouter raconter, à
faire encore d'autres blagues encore plus mauvaises sur tout ou sur pas
grand-chose…
En partant trop tôt j'ai dit à Elisabeth qu'on se reverrait
vite plus vite qu'entre nos deux dernières rencontres, une fille m'a glissé sa
carte dans la main, elle voulait être juste sûre que je n'oublierai pas de
parler de ses produits… rien de plus… Je crois que je n'ai pas serrés toutes
les mains en partant.

Je me suis dit que c'était con et puis j'ai pensé que
finalement non ce n'était sans doute pas l'endroit ni le moment et puis ce
n'était pas grave j'aurais sans doute d'autres occasions… C'est en tout cas ce
que je me suis dit ce soir là… que j'aurai d'autres occasions…
Depuis hier je sais que je n'aurais plus jamais, jamais, jamais ces occasions…
Mais pourquoi, pourquoi… pourquoi… est-ce que je vous
raconte ça…
Aujourd'hui moins que jamais je ne modérerai les
commentaires que vous laisserez après cet article, comme toujours je
n'enlèverai que ceux qui peuvent blesser ou attaquer injustement.
Néanmoins je
vous demande d'être avare de mots, ce n'est pas encore l'endroit et le moment,
nous aurons d'autres occasions de le faire…